LE POUVOIR DES MUNICIPALITÉS SUR L’EMPLACEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

e 16 juin 2016 dernier, la Cour suprême devait répondre à une question constitutionnelle importante : une municipalité peut-elle empêcher une entreprise fédérale de construire une tour de communication, ou si ce faisant elle pose un obstacle inacceptable à ce qui constitue une compétence fédérale exclusive sur les radiocommunications? C’est un différend très médiatisé entre Rogers et la ville de Châteauguay (ci-après Châteauguay) qui a mené à ce débat constitutionnel. La Cour suprême a rendu un jugement dans sa décision Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville)[i], affirmant qu’une municipalité n’a pas la compétence d’intervenir sur l’emplacement des infrastructures dans le domaine des télécommunications.

Le tout a débuté alors que Rogers a décidé d’ériger un nouveau système d’antennes de radiocommunication sur le territoire de la ville de Châteauguay. Dans le cadre du processus de consultation publique visant l’obtention de l’autorisation ministériel fédérale, Châteauguay s’est opposé à la construction de la tour, en faisant valoir divers arguments notamment, que son installation contreviendrait au règlement de zonage de la municipalité, qu’elle aurait un aspect inesthétique ainsi que des répercussions négatives potentielles sur la santé et la sécurité de la population vivant dans la zone résidentielle périphérique. Châteauguay a entrepris des négociations ainsi qu’un processus d’expropriation visant à fournir un terrain alternatif à Rogers pour l’installation de sa tour.

Néanmoins, ultimement, le ministre fédéral de l’Industrie a autorisé Rogers à installer la tour sur le site d’origine projeté. Avant le début des travaux, Châteauguay,  en vertu de ses compétences en matière de protection de la santé et du bien‑être de ses résidents ainsi que le développement harmonieux du territoire, a adopté une résolution municipale autorisant la signification d’un avis d’imposition de réserve qui interdit toute construction sur le terrain en question pour une période de deux ans. Quelques jours avant l’expiration de l’avis d’imposition de réserve, le conseil l’a prolongée pour une nouvelle période de deux ans.

Appelée à se pencher sur cette question, la Cour supérieure a statué en 2013 que bien que Châteauguay avait  un droit de reprendre des terrains et des bâtiments dans le but d’imposer une réserve foncière, son utilisation en l’espèce, l’a été de mauvaise foi, constitue un abus de pouvoir et annule en conséquence les avis de réserves. La Cour d’appel a par la suite infirmé ce jugement, affirmant que la détermination du caractère véritable de l’avis de réserve et l’avis d’expropriation nous permettait de conclure que le but visé était « de répondre aux inquiétudes des citoyens de Châteauguay concernant les répercussions possibles des ondes radio sur leur santé et pour assurer un développement harmonieux de son territoire » et non pas d’entraver la compétence fédérale en matière de radiocommunication. Au surplus, la Cour d’appel a indiqué que le fédéral ne possédait pas une compétence exclusive en matière de télécommunications, que la doctrine de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale n’est pas applicable en l’espèce et qu’il n’y a pas d’entrave à la réalisation de l’objectif de la loi fédérale.

Tranchant définitivement sur le litige, la Cour suprême du Canada a renversé la décision de la cour d’appel du Québec et déclaré inconstitutionnel l’avis de réserve adopté par Châteauguay.  La Cour suprême a statué que le caractère véritable d’une mesure doit s’analyser en tenant compte non seulement de son objet mais également de ses effets.  Cette analyse a conduit la Cour à conclure que le caractère véritable de l’avis de réserve adopté par Châteauguay est d’empêcher Rogers d’installer son système d’antennes de radiocommunication sur le terrain choisi et usurperait ainsi l’exercice de la compétence fédérale exclusive pour la détermination de l’emplacement des infrastructures en matière de radiocommunication.   L’ingérence de la ville dans la tentative de Rogers d’améliorer son réseau sans fil « compromet le développement ordonné et l’exploitation efficace des radiocommunications au Canada ».

Bien que cette conclusion était suffisante pour disposer du pourvoi, la Cour suprême a tenu à clarifier que la doctrine sur l’exclusivité des compétences trouvait application en l’espèce. La Cour indique que le choix de l’emplacement des infrastructures dans le domaine des télécommunications relève du cœur de la compétence fédérale puisque l’emplacement adéquat et précis des systèmes d’antennes permet d’assurer le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada. À cause de l’avis de réserve, Rogers ne pouvait satisfaire son obligation de desservir la région géographique comme l’exigeait sa licence de spectre et constituait donc une atteinte grave au cœur de la compétence fédérale.

Seul l’avenir permettra d’évaluer la portée de cette décision qui pourrait servir de fondement pour limiter les pouvoirs des municipalités dès lors qu’elles légifèrent sur des questions a priori de prérogative fédérale. Si vous croyez être victime d’un abus de pouvoir d’une municipalité ou que vous avez besoin de conseils juridiques à cet égard, adressez-vous à un avocat de chez Noël et Associés.

[i] Rogers Communications Inc. c Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23.